Un événement qui s'est produit au printemps 2018 a mené à une réflexion sur le passé colonial de l’université. Des étudiants ont alerté les autorités sur l’existence d’un médaillon à l'effigie de Léopold II offert en 1949 par l’association des vétérans coloniaux à l’occasion des 40 ans de la mort du roi.

Peu de temps après, ce médaillon a été tagué d’inscriptions faisant référence au passé colonial. Cet acte n’a pas été revendiqué.

Un groupe de réflexion sur le passé colonial de l’ULB, pluridisciplinaire et informel, fut alors mis en place. Il comprenait des historien.nes, historien.nes de l’art, anthropologues biologiques, sociologues, psychologues sociaux.les, archéologues, et des représentant.es du cercle Binabi (étudiants afro-descendants). Il était présidé par le Vice-recteur à la politique académique et à la gestion des carrières, en charge de la politique de diversité et de genre.
La décision est prise, en décembre 2018, par le Recteur de l'époque de postposer les actions à adresser au futur de ce médaillon à un moment où l’université aurait progressé dans sa réflexion concernant son héritage colonial et que les tensions se seraient apaisées. Le médaillon est alors déposé et depuis lors conservé au sein du service des Archives, patrimoine et réserve précieuse, dépendant du Département des Bibliothèques et de l’information scientifique.

Le Comité de pilotage Héritages coloniaux et décolonisations se ressaisit de la question en 2021. Il décide de consulter séparément des acteurs et actrices lié·es tant aux mouvements décoloniaux qu’à la gestion des patrimoines (internes et externes à l’ULB) et adresse les recommandations suivantes à l'Université:
  • Ne pas nettoyer le médaillon de Léopold II
  • Ne pas le ré-exposer et le laisser dans les archives. Le mettre à disposition d’espaces muséaux en cas de demande(s) adressée(s) en ce sens.
  • Laisser l’endroit où il se trouvait comme il est à l’heure actuelle, c’est-à-dire vide, avec une explication de ce choix, une mise en contexte historique et un extrait du Discours sur le colonialisme, de l'écrivain et poète Aimé Césaire. Cette solution permet de faire œuvre pédagogique. Le lieu, sans le médaillon, est utilisé comme espace de réflexion.
  • Lancer un appel à projets permettant à des artistes de proposer une/des créations sur le thème des colonisations et/ou des décolonisations : l’Université, en partenariat avec la VUB, a procédé à l’acquisition d’une œuvre de l’artiste kinoise Géraldine Tobe Mutamande intitulée Et Dieu créa la femme.
    Elle consiste en un grand triptyque de 3 toiles qui aborde les interférences du catholicisme importé par les missionnaires. Si on devait évoquer les concepts cachés derrière le sujet de ce triptyque, qui demande à être lu comme une seule œuvre, les mots secouer, déraciner et intimider sont ceux qui viendraient à l’esprit. On les utiliserait pour évoquer la perturbation d’un équilibre – celui de la femme – par un facteur externe et néfaste, les interférences du catholicisme importé par les missionnaires.
    termes évoquent également une violence psychique délibérément exercée dans le but d’éradiquer une situation existante.
 
Texte d'Aimé Césaire (extrait du Discours sur le colonialisme, 1955) dont l’insertion a été proposée par les étudiants du cercle Binabi car il exprime une vision alternative de la même époque de ce qu’a été la colonisation.

"Cela revient à dire que l'essentiel est ici de voir clair, de penser clair, entendre dangereusement, de répondre clair à l'innocente question initiale : qu'est-ce en son principe que la colonisation ? De convenir de ce qu'elle n'est point : ni évangélisation, ni entreprise philanthropique, ni volonté de reculer les frontières de l'ignorance, de la maladie, de la tyrannie, ni élargissement de Dieu, ni extension du Droit ; d'admettre une fois pour toutes, sans volonté de broncher aux conséquences, que le geste décisif est ici de l'aventurier et du pirate, de l'épicier en grand et de l'armateur, du chercheur d'or et du marchand, de l'appétit et de la force, avec, derrière, l'ombre portée, maléfique, d'une forme de civilisation qui, à un moment de son histoire, se constate obligée, de façon interne, d'étendre à l'échelle mondiale la concurrence de ses économies antagonistes".

Projet de la plaquette de contextualisation écrite par la Pr. Amandine Lauro

Œuvre du sculpteur belge Victor Demanet (1895-1964), ce médaillon a été offert en 1949 aux quatre grandes universités belges (Université libre de Bruxelles, Université de Gand, Université de Liège et Université de Louvain) par l’Association des Vétérans Coloniaux. Il s’agit d’une oeuvre de commande de cette association, destinée à commémorer le quarantième anniversaire de la mort du roi Léopold II (1835-1909). Celui-ci est alors glorifié par la propagande coloniale comme le «père fondateur» de la colonisation belge. Plus largement, l’action du roi à la tête de l’Etat Indépendant du Congo (1885-1908) est magnifiée par les discours officiels qui occultent les atrocités commises durant la période léopoldienne, pourtant largement dénoncées sur la scène internationale au début du 20ème siècle.
En cette période d’après-guerre, qui voit le colonialisme contesté à l’échelle globale, ce type de monument participe d’une réhabilitation de l’histoire des origines de l’empire colonial belge, en même temps que d’une (ré)affirmation de la légitimité de la domination belge en Afrique centrale, qui se conjugue alors toujours au présent. L’Association des Vétérans Coloniaux ne choisit pas le monde universitaire au hasard. Fondée en 1928, l’association rassemble initialement les vétérans (militaires) de l’Etat Indépendant du Congo. Elle est à la fois un réseau de solidarité et un lobby colonial, de tendance conservatrice. Elle est investie dans le domaine de la propagande monumentale en métropole, subsidiant l’érection d’une multitude de plaques et statues.
Le choix des Universités est alors stratégique. D’une part, dans une perspective propagandiste, il s’agit de vanter les mérites de «l’oeuvre coloniale belge» auprès des futures élites du pays. D’autre part, il s’agit de renforcer les liens avec des institutions universitaires elles-mêmes largement investies sur le terrain colonial, que ce soit via le biais de programmes d’enseignement ou de recherche. L’Université libre de Bruxelles participe à ses liens. Elle dispense des cours et même une licence en «sciences coloniales» destinée à former les futurs cadres de l’administration coloniale. Plusieurs de ses professeurs et chercheurs développent également des projets sur le terrain colonial, dont certains en collaboration directe avec le pouvoir colonial et ses institutions savantes. Cette production de savoir soutient pour l’essentiel les catégories de pouvoir sur lesquelles repose l’entreprise coloniale, et il faudra attendre les années 1950 pour voir y émerger des postures plus critiques.
Longtemps glorifiée par la propagande coloniale, la figure de Léopold II est depuis la fin des années 1990 l’objet de controverses historiques, médiatiques et politiques importantes. La brutalité du régime d’exploitation de l’Etat Indépendant du Congo mis en place par Léopold II et son administration, qui s’ajoute à la violence déployée lors de la conquête, a été démontrée par de nombreux travaux d’historiens. Travail forcé, extraction contrainte de ressources, brutalités en tous genres, mais aussi massacres et répressions militaires ont émaillé les premières années de colonisation belge au Congo, dans un contexte de racisme et d’impunité institutionnalisés. Le déclin démographique dramatique de la population fut l’une des conséquences de ces pratiques.
Si le caractère massif de ce déclin et de ces violences est incontestable, son bilan chiffré, comme l’enjeu de sa qualification (s’agit-il de parler de «massacres» ou, comme certains l’ont avancé, de «génocide»?), suscitent toujours de vives controverses. La (re)découverte de cette histoire et ses échos médiatiques ont récemment contribué à ériger Léopold II en symbole de la violence des régimes coloniaux, et à cristalliser autour de sa figure des polémiques et des tensions politiques et mémorielles plus larges sur le rapport au passé colonial en Belgique.
Les tags, anonymes, dont ce médaillon a été l’objet au début de l’année 2018 constituent un témoignage de cette évolution et de la vivacité grandissante des conflits mémoriels autour de la colonisation, de ses héritages, et de ses vestiges patrimoniaux dans l’espace public. Ils attestent des échos de plus en plus larges d’un activisme associatif (mais aussi culturel et politique) mobilisé de manière croissante ces dernières années autour de la question du passé colonial belge et de sa reconnaissance. Ils s’inscrivent aussi dans un contexte plus large de mobilisations décoloniales à l’échelle internationale qui visent, à l’image du mouvement Rhodes Must Fall initié à partir des campus d’Afrique du Sud en 2015, le monde universitaire en interrogeant à la fois les inégalités persistantes, les contenus des cursus et la présence de monuments coloniaux au sein des institutions académiques au prisme de la question, complexe, des continuités entre les pratiques du temps colonial et le présent.
Amandine Lauro

Biographie de Géraldine Tobé Mutamande (Revue Point contemporain)

Considérée comme une enfant-sorcier par les pasteurs évangélistes qui prétendent prodiguer de l’aide aux familles pauvres en exorcisant ces enfants boucs émissaires, Géraldine Tobe Mutamande tire de cette expérience traumatisante – faite de feu et de fumée – sa puissance narrative. Désormais, elle utilise le feu comme catharsis. Il est devenu son pinceau, la fumée est devenue sa couleur.

Par un procédé de peinture à la flamme issue d’une lampe rustique, elle dessine d’étranges silhouettes dont les formes désarticulées trahissent ses traumatismes personnels et ceux de tout un peuple qui, entre instabilité politique et extrême pauvreté, peine encore à trouver un équilibre. Consciente d’être ”un idiome entre monde immatériel et monde physique”, elle est aussi un intercesseur entre ombres et lumières.

Mis à jour le 23 mai 2025